Action foncière : la stratégie des dominos se complique pour les expropriés
En matière d’expropriation, le transfert de propriété des immeubles est opéré, à défaut de cession amiable, par voie d’ordonnance du juge de l’expropriation.
Cette ordonnance est l’étape incontournable de la phase judiciaire de la procédure, sans laquelle l’expropriant ne pourra pas entrer en possession.
1. Recours contre l’ordonnance d’expropriation
De manière directe, seule la voie du recours en cassation est ouverte contre l’ordonnance d’expropriation, et de manière très limitée vu l’objet particulier de cette ordonnance. En application de l’article L. 223-1 du Code de l’expropriation, l’ordonnance ne peut être attaquée que par pourvoi en cassation et pour incompétence, excès de pouvoir ou vice de forme.
En application de l’article L. 223-2 du code précité, il est également possible, a posteriori, en cas d’annulation par une décision définitive du juge administratif de la déclaration d’utilité publique (DUP) ou de l’arrêté de cessibilité, de faire constater par le juge que l’ordonnance est dépourvue de base légale et demander son annulation.
Après avoir constaté l’absence de base légale de l’ordonnance, le juge statue sur les conséquences de son annulation (indemnité, rétrocession).
2. Fin du recours en cassation pour perte de base légale anticipée
En plus de ces deux voies de recours, il a longtemps été admis la possibilité de former un pourvoi en cassation, avant le prononcé de l’annulation d’une DUP ou d’un arrêté de cessibilité, pour demander la cassation par voie de conséquence de l’annulation à intervenir (Cass. Civ. 3ème, 17 décembre 2008, pourvoi n° 07-17.739, publié).
Dans ce cas, l’exproprié pouvait obtenir, après avoir formé son pourvoi, une radiation de celui-ci jusqu’à ce que la partie la plus diligente produise la décision irrévocable intervenue sur le recours formé devant la juridiction administrative (Cass. Civ. 3ème 15 septembre 2015, pourvoi n° T 14-20.404 et X 14-23.260). Le rétablissement du pourvoi à cette fin était admis tant que le délai de péremption de l’instance n’était pas acquis (Cass. Civ. 3ème, 17 décembre 1996, pourvoi n° 88-70.033 ; Cass. Civ. 3ème, 7 juin 2011, pourvoi n° 99-70.266).
L’avantage était bien-sûr stratégique. Un tel recours permettait aux expropriés de faire vaciller la procédure menée par l’expropriant, tel un jeu de dominos menacé de tomber jusqu’à ce que la légalité de la DUP ou de l’arrêté de cessibilité soit jugée définitivement (ce qui pouvait être relativement long).
Cet état du droit vient d’évoluer avec la décision rendue par la Cour de cassation le 16 janvier 2025.
La Cour de cassation juge qu’en cas d’annulation de la DUP ou de l’arrêté de cessibilité, la voie ouverte, a posteriori, devant le juge de l’expropriation par l’article L. 223-2 (demande d’annulation de l’ordonnance pour perte de base légale) est suffisante pour préserver les droits des expropriés, fermant ainsi celle du pourvoi a priori.
La Haute juridiction motive son revirement de la manière suivante :
- Ainsi, l’annulation d’une ordonnance d’expropriation pour perte de fondement légal, selon la procédure prévue aux articles L. 223-2 et R. 223-1 à R. 223-8 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, constitue un recours garantissant pleinement les droits de l’exproprié.
- En conséquence, il convient désormais de juger que l’annulation à intervenir de la déclaration d’utilité publique ou de l’arrêté de cessibilité ne donne pas lieu à ouverture à cassation de l’ordonnance d’expropriation pour perte de fondement légal.
- Cette nouvelle règle de procédure, qui ne prive pas l’exproprié de son droit d’accès au juge, est d’application immédiate, sauf notification, avant le présent arrêt, d’une décision définitive d’annulation prononcée par la juridiction administrative.
En conséquence, la haute juridiction rejette comme irrecevable le moyen tiré de la perte de base de légale « par anticipation » que soulevait l’exproprié, en constatant qu’aucune décision définitive n’a annulé l’arrêté de cessibilité.
Accéder au texte intégral de la décision ici => Cass. Civ. 3ème, 16 janv. 2025, pourvoi n° 23-21.174, Publié au bulletin
3. Importance du délai de 2 mois prévu par l’article R. 223-2 du Code de l’expropriation
Assurément, le jeu se complique pour les expropriés.
Dans le cas d’une annulation définitive de la DUP ou de l’arrêté de cessibilité, il ne disposent à présent que d’un court délai de deux mois après la décision définitive du juge administratif annulant la déclaration d’utilité publique ou l’arrêté de cessibilité, pour faire valoir la perte de base légale de l’ordonnance d’expropriation, et tenter si cela est encore possible d’obtenir restitution du bien (cf. article R. 223-2 et R. 223-3 du Code de l’expropriation).